Carte blanche publiée dans le Soir du 23 juin 2015, à l’initiative d’un collectif de députées socialistes(*) dont je fais partie…

Des mandataires socialistes des différentes assemblées régionales et fédérale s’adressent au gouvernement dans le cadre de la réforme des pensions et lui demandent de remédier aux inégalités entre femmes et hommes pensionnés.

Ce lundi, les partis de l’opposition au fédéral se sont opposés à la tentative de passage en force de la réforme des pensions voulue par le gouvernement Michel. Le même jour, le Conseil d’Etat émettait un très sévère avertissement sur ce projet de réforme dont la conformité avec les lois et la Constitution belges est plus que contestée Face à cette actualité, Le Soir publiait hier un dossier consacré aux conséquences de cette réforme , mais un enjeu crucial a été éludé du débat : l’impact de cette réforme des pensions sur les femmes. Le Conseil d’Etat a mis en garde le gouvernement contre une possible rupture de l’égalité entre les belges et l’on sait que les pensions de femmes sont un des révélateurs les plus criants des rapports sociaux et de genre encore très inégalitaires dans notre pays. C’est pourquoi, nous, femmes et députées socialistes de différentes assemblées, tenons à remettre cette question au centre du débat et appelons le gouvernement à prendre en compte la dimension de genre dans sa réforme, faute de quoi, les inégalités entre hommes et femmes ne feraient que s’accentuer. En Belgique, en 2015, cette perspective est inacceptable.

Des inégalités déjà présentes…

Le régime des pensions en Belgique est constitué de trois piliers : la pension légale, les pensions complémentaires (2e pilier) et l’épargne pension individuelle.
Les femmes sont les premières victimes des inégalités liées à ce système. Le premier pilier, celui de la pension de retraite, montre que la pension des femmes est nettement plus basse que celle des hommes : 698 euros brut/mois en moyenne pour une femme isolée contre 953 euros brut/mois (1) pour un homme dans la même situation. Par ailleurs, elles sont nombreuses à travailler dans des secteurs « pauvres » qui n’offrent pas de 2e pilier (les secteurs sociaux, les soins de santé, les petits commerces, etc.).
Enfin, n’oublions pas la différence de salaire existant entre hommes et femmes tous secteurs confondus, qui s’élève encore à 20% qui les empêche bien souvent de se constituer une épargne individuelle !

…Qui se creuseront davantage avec la nouvelle réforme

Le durcissement de l’accès à la pension anticipée prévu dans l’accord de gouvernement Michel Ier prévoit une augmentation de l’âge minimum et de la condition de carrière. Ainsi d’ici l’horizon 2019, il faudra avoir travaillé 44 ans pour pouvoir partir en pension anticipée à 60 ans, autrement dit avoir travaillé sans discontinuité depuis ses 16 ans. Si tel n’est pas le cas, il faudra attendre 63 ans, à condition d’avoir une carrière de 42 ans.

Les femmes, qui ont plus souvent arrêté de travailler pendant quelques années, souvent pour élever leurs enfants en bas âge, seront d’autant plus touchées par cette mesure. En pratique, elles seront très nombreuses à devoir travailler jusqu’à l’âge légal de 67 ans en 2030. Ainsi, 53,51% des femmes salariées et 82,39% des femmes indépendantes devront travailler jusqu’à 67 ans, faute d’une carrière suffisante pour prendre leur pension plus tôt (2).

Le gouvernement a également appliqué depuis le 1er janvier 2015 la suppression de l’indemnisation du crédit-temps sans motif et le contrôle durci des motifs désormais autorisés (congé parental, congés pour soins palliatifs et assistance à une personne gravement malade). Les femmes qui étaient plus nombreuses à y avoir recours pour prendre soin d’un proche ne pourront plus comptabiliser ce crédit-temps dans le calcul de leur pension.

Même si nous souhaitons ardemment que celles-ci appartiennent au passé, il est primordial de prendre en compte les réalités inhérentes aux rôles sociaux stéréotypés des femmes et des hommes. Ceci est une priorité à laquelle le gouvernement doit s’attacher sous peine d’accroitre davantage les disparités déjà existantes entre hommes et femmes face à la pension et pire, de plonger de nombreuses femmes sous le seuil de pauvreté. A l’instar du Conseil de l’Egalité des Chances entre les Hommes et les Femmes, nous regrettons qu’aucune analyse n’ait été produite sur l’impact de la réforme des pensions sur les femmes salariées (3). Ceci est d’autant plus interpellant qu’en 2007, une loi visant à l’intégration de la dimension du genre dans l’ensemble des politiques fédérales a été votée (4).

C’est pourquoi, nous, femmes et députées PS de différentes assemblées, demandons au gouvernement d’apporter une attention toute particulière à la dimension de genre dans sa réforme des pensions. Nous soutenons les revendications des associations féministes (5) et nous lui demandons:
– Une meilleure prise en compte des périodes de travail à temps partiel dans le calcul de la pension
– Le maintien des périodes de crédit-temps sans motif dans ce calcul
– Le renforcement du 1er pilier, à savoir la pension légale.
– La fin de toutes les mesures qui favorisent le couple à un seul revenu.
– La fin de toutes les mesures qui favorisent le travail à temps partiel.
– L’individualisation des droits sociaux.
– Enfin, nous lui demandons de consulter le Conseil de l’Egalité des Chances entre les Hommes et les Femmes avant l’adoption en dernière lecture de la réforme des pensions.

(1) ONP, statistiques annuelles 2013.

(2) Chiffres communiqués par le ministre des Pensions suite à une question écrite de Frédéric Daerden le 15/12/2014.

(3) Avis n°147 du Conseil de l’Egalité entre les Hommes et les Femmes du 29 mai 2015.

(4) Loi du 12 janvier 2007 visant au contrôle de l’application des résolutions de la conférence mondiale sur les femmes réunie à Pékin en septembre 1995 et intégrant la dimension du genre dans l’ensemble des politiques fédérales.

(5) Ces revendications ont été avancées par les Femmes Prévoyantes Socialistes et plus largement par la Plateforme Féministe Socio-Economique qui dénonce l’impact des mesures d’austérité sur les femmes.

(*) Signataires : Véronique Bonni, députée à la Région wallone et au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Catherine Moureaux, députée bruxelloise ; Sophie Pécriaux, députée wallonne et députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Isabelle Emmery, députée bruxelloise et députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Anne Lambelin, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Joëlle Kapompole, députée wallonne et députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Gwenaëlle Grovonius, députée fédérale ; Latifa Gahouchi, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Caroline Désir, députée bruxelloise et députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Christianne Vienne, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Christie Morreale, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Nadia El Yousfi, députée bruxelloise, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Olga Zrihen, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, sénatrice ; Déborah Géradon, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Graziana Trotta, députée walonne, députée au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles ; Véronique Jamoulle, députée bruxelloise, sénatrice ; Fabienne Winckel, députée fédérale ; Simone Susskind, députée bruxelloise.