Intervention de Mme Catherine Moureaux dans le cadre de l’interpellation de Mme Brigitte De Pauw à Mme Evelyne Huytebroeck, Ministre du gouvernement bruxellois chargée de l’Environnement, concernant  « les compteurs intelligents » en Commission de l’Environnement du 3 juillet 2012.

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Mme Catherine Moureaux.- Le groupe socialiste avait déjà par ma voix interpellé la ministre sur la question des compteurs intelligents et singulièrement sur l’application de la directive de 2009 qui prévoyait la dérogation aux 80% de déploiement d’ici 2020, moyennant des études et un argumentaire très serré au niveau de la Région bruxelloise.

Mon groupe se réjouit de la manière dont le dossier a été géré au niveau du gouvernement et de la décision qui a été prise, qui est tout à fait conforme aux besoins des Bruxellois en la matière.

Tous les acteurs sont d’accord pour dire que la technologie n’est pas prête et qu’il reste toute une série d’inconnues spécifiques au territoire bruxellois.

Je voudrais attirer votre attention sur deux points, qui n’ont jusqu’ici été qu’effleurés. Le premier concerne l’aspect « vie privée » de cette technologie.

Le rapport de Brugel en parle pendant plusieurs pages. La conclusion, à la page 30, est titrée « Sécurité des données et protection de la vie privée » : « Avant de généraliser les compteurs intelligents, il est essentiel de s’assurer de l’inviolabilité du système qui sera mis en place, notamment contre le hacking (fraude et sabotage) et la confidentialité des données des utilisateurs ».

Le rapport de Brugel se base sur la réflexion d’au moins trois groupes qui travaillent plus particulièrement sur la question des données personnelles : le groupe de travail Article 29, la Commission de la protection de la vie privée et la Ligue des droits de l’homme. On avait déjà eu l’occasion de discuter de cette question, mais on n’avait pas pu mettre en place de processus d’étude ou de réflexion plus approfondie par rapport à ces questions dans le délai imparti pour la décision d’ici à septembre 2012.

Je voudrais insister auprès de Mme la ministre pour qu’une telle démarche soit faite dans le futur.

En particulier, je pense que la recommandation de la Ligue des droits de l’homme de faire réaliser cette étude par un consortium interuniversitaire est tout à fait pertinente, étant donné le climat de lobbying intense à tout niveau dans ce dossier.

Ce doit être un dossier dans lequel on préserve la question du conflit d’intérêt de manière majeure.

J’appuie la demande de la Ligue des droits de l’homme d’aller vers une étude réalisée par un consortium interuniversitaire en appui de la Ligue ou avec son appui.

Vient s’ajouter, dans le champ de la vie privée, un avis du contrôleur européen de la protection des données, daté du 8 juin dernier. Celui-ci s’exprime dans les termes suivants : « Alors que le déploiement à l’échelle européenne des systèmes de compteurs intelligents peut apporter des avantages significatifs, il permettra également la collecte massive de données à caractère personnel pour suivre ce que les membres d’un ménage font dans l’intimité de leur maison, s’ils sont en vacances ou au travail, comment ils utilisent leur temps libre. Ces modèles peuvent être utiles pour l’analyse de la consommation à des fins d’économie d’énergie. Mais en corrélation avec des données provenant d’autres sources, le potentiel d’une large exploration de données est très important. Les modèles et profils peuvent être utilisés à de nombreuses autres fins, y compris le marketing, la publicité et la discrimination de prix par des tiers. »

Cette préoccupation d’utilisation des données à caractère privé est partagée par un grand nombre d’acteurs et mérite toute notre attention.

Un deuxième aspect de ce dossier concerne les aspects sanitaires en matière de télécommunication.

Ceux-ci sont largement méconnus, probablement pour des raisons de lobbying intense. Nous avons souvent eu l’occasion dans cette enceinte de débattre des effets des rayonnements électromagnétiques. L’étude de l’IBGE consacre cinq pages aux questions sanitaires et l’avis de Brugel ne l’évoque tout simplement pas, ce qui reflète bien l’état regrettable de la situation au niveau des études à Bruxelles. Il y pourtant tout lieu de s’inquiéter sur le sujet.

L’étude de Bruxelles Environnement aborde des données basiques en la matière. Elle conclut que la localisation de l’installation, la fréquence, la durée d’exposition et le volume des données communiquées sont des éléments clés par rapport à l’application du principe de précaution en matière de télécommunication et de compteurs intelligents.

Ces constats sont corroborés par une étude californienne beaucoup plus poussée, qui modélise l’impact de l’installation des compteurs et pointe également la distance d’émission comme un critère essentiel. Cette étude relève un deuxième critère sous-jacent à la fréquence, la durée d’exposition et le volume des données transportées, à savoir la densité des compteurs au niveau d’un endroit. Elle évoque également les interférences avec les objets présents dans le domicile. Tous ces éléments négatifs doivent être pris en compte par rapport à l’impact sanitaire des ondes de rayonnement électromagnétique.

L’élément de densité des compteurs est très important dans le contexte de notre bâti bruxellois, qui est remarquable par sa densité. Bruxelles se distingue en effet par le nombre très important de ses petits consommateurs et locataires, ainsi que par son bâti excessivement dense.

Autrement dit, cette question sanitaire ne peut être évacuée par cinq pages d’un rapport de Bruxelles Environnement. Je voudrais demander à la ministre d’évaluer la faisabilité d’un autre type d’étude de cet aspect : modélisation ou, moins coûteux pour commencer, une revue de la littérature sur le sujet. Cette question sanitaire doit de toute manière être prise au sérieux avant la poursuite du déploiement des compteurs intelligents ou de manière concomitante à celle-ci.

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Lien vers le compte-rendu intégral de la Commission ici