Le 18 avril dernier 2018 j’ai interrogé le Ministre bruxellois de la santé sur « le projet Dionysos en péril ». Compte-rendu ci-dessous:
Mme Catherine Moureaux: Le projet Dionysos est une initiative du service de santé mentale Rivage-den-Zaet. Il est agréé par la Commission communautaire commune (Cocom) et financé par l’Institut national d’assurance maladieinvalidité (Inami) dans le cadre du protocole 3 « Alternatives de soins visant le maintien des personnes âgées à domicile ».

Ce projet est constitué d’une unité mobile de soutien au réseau de soins de personnes âgées et fragiles de plus de 60 ans. C’est donc un réseau de deuxième ligne. À partir d’une écoute professionnelle et de la mise en place d’un travail de concertation, Dionysos entend mobiliser les ressources et les compétences du réseau, tant formel qu’informel, afin de renforcer celles du patient et lui permettre de maintenir son lieu de vie au domicile. L’équipe travaille sur les cas lourds, les cas complexes, impliquant notamment des refus de soins, dans lesquels la famille et/ou l’équipe de soins a besoin de soutien pour améliorer l’avenir de la personne âgée fragilisée. Il s’agit d’une approche tout à fait novatrice, qui s’articule aujourd’hui parfaitement avec les autres formes de soutien aux personnes âgées au domicile, à savoir les équipes de soins primaires et le travail des centres de coordination des soins.

Aujourd’hui, cette équipe de professionnels engagée activement sur le terrain depuis huit ans s’est mise en vente sur les réseaux sociaux, en précisant sa disponibilité au 1er juin 2018. J’ai été particulièrement interpellée par cette façon de témoigner de leurs difficultés actuelles.

Pourquoi une telle démarche ? Parce que, alors même que l’évaluation de ce projet a mis en avant une meilleure utilisation des soins de santé, un moindre recours aux services des urgences, une diminution des cas de dépression, une meilleure utilisation des soins de première ligne, une meilleure adaptation à l’intégration au sein d’une maison de repos, son financement semble être mis en péril par les décisions du pouvoir fédéral, au motif que l’objectif de retarder l’institutionnalisation n’est pas atteint. La ministre De Block ne souhaite pas prolonger le projet et renvoie à l’Inami en vue de son intégration au budget classique de l’assurance maladie. Or c’est un projet novateur.

Les protocoles 3 avaient précisément pour objectif de détecter des projets novateurs. Le projet novateur dont il est question ne rentre donc pas dans les cases actuelles. Il serait suggéré aujourd’hui de passer d’un financement forfaitaire à un financement à l’acte. Cette méthode soulève de très nombreuses questions, la première étant que la notion d’acte ne correspond absolument pas au type de travail de supervision effectué.

Dans cette situation, la politique fédérale de santé semble, une fois de plus, centrée davantage sur une volonté de réaliser des économies que sur l’intérêt et le bien-être du patient. Dans une équation tout à fait cynique, il semble que le gouvernement fédéral ne voie plus grand intérêt à investir, dans le cadre du protocole 3, dans des projets qui, in fine, participent réellement à l’amélioration de la prise en charge et diminuent les coûts de la politique régionale d’Aide aux personnes. C’est tout à fait cynique car ces mesures fédérales ne feront que dégrader les capacités de la Région à répondre à ses besoins en matière d’aide aux personnes.

Quels contacts avez-vous avec les autorités fédérales au sujet de ce projet ?

Quelles mesures ou actions avez-vous engagées afin de pérenniser ce projet ?

Avez-vous envisagé d’autres options au niveau régional, si aucune solution n’était trouvée en concertation avec l’État fédéral ?
Comment réagissent les autres cabinets lors des réunions intercabinets ?

Merci, M. le ministre

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M. Le Ministre, Didier Gosuin:  Pour rappel, les projets dits « Protocole 3 » concernent des projets de soins et de soutien aux soins pour les personnes âgées et fragiles. Deux appels à projets avaient été lancés en 2010 et 2014 par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami), avec pour objectif de retarder l’institutionnalisation des personnes âgées et de garantir un maintien à domicile dans les meilleures conditions possibles.

Quelque 67 projets au niveau belge avaient été retenus au départ. Il en reste aujourd’hui 37, dont deux à Bruxelles, et essentiellement un, à savoir le projet « Dionysos ».

Les projets s’articulent autour de l’offre de soutien psychologique, de soins de nuit, d’ergothérapie, de « case management » (processus coopératif interprofessionnel et interinstitutionnel) et de soins en centre de jour.

Les projets ont fait l’objet d’un accompagnement scientifique par un consortium universitaire qui a présenté les résultats de son étude scientifique en octobre 2017. En résumé, on peut en conclure que l’objectif qui consiste à maintenir les personnes âgées plus longtemps à domicile n’a pas été atteint. Par contre, les conditions qui entourent l’institutionnalisation ont largement évolué. Si les objectifs n’ont pas été atteints sur l’aspect quantitatif, des avancées ont, en revanche, été engrangées sur le plan qualitatif.

S’agissant du projet bruxellois « Dionysos », je confirme que l’évaluation de ce projet met en avant une meilleure coordination des soins, une concertation professionnelle entre les acteurs de l’aide et des soins, un moindre recours aux urgences et, sans nul doute, une meilleure adaptation à l’intégration en milieu résidentiel.

À la suite de la présentation des résultats de l’étude scientifique, et devant l’impossibilité de justifier le déploiement des projets sur l’ensemble du territoire, l’autorité fédérale avait, dans un premier temps, estimé qu’il ne convenait pas de prolonger les projets au-delà de juin 2018. Après de nombreux échanges intercabinets dans le cadre du groupe de travail « Maladies chroniques », nous sommes parvenus à convaincre les autorités fédérales de maintenir les financements actuels pour les projets qui présentent une réelle valeur ajoutée. Il s’agit, pour 2018, d’un budget équivalent à 12,2 millions d’euros pour l’ensemble des projets menés en Belgique. La Flandre et la Wallonie se taillent ici la part du lion, car seul un petit million d’euros nous est réservé.

Un groupe de travail spécifique composé des organismes assureurs, des représentants des administrations fédérales, régionales et communautaires et des prestataires se réunit régulièrement depuis janvier dernier afin de fixer les modalités du lancement d’un troisième appel à projets assorti, effectivement, de nouvelles exigences.

La prolongation des projets retenus pourrait s’étendre jusqu’au 31 décembre 2020. Certains projets seront, par ailleurs, invités à fusionner afin de satisfaire aux nouvelles exigences, notamment, en ce qui concerne le nombre de personnes suivies.
L’étude scientifique montre clairement la nécessité d’investir dans le case management, ce que souhaitent d’ailleurs le gouvernement fédéral et les Communautés. Le case management doit être mis en place dans les situations de soins et d’aide les plus complexes. Les instances fédérales et communautaires se penchent actuellement sur les contours de cette nouvelle fonction qui doit encore être mieux balisée.

Il est important à nos yeux que l’expertise acquise dans le cadre du projet Dionysos ne soit pas perdue. C’est la raison pour laquelle nous nous efforçons aussi de convaincre les autorités fédérales de soutenir le projet bruxellois qui, au vu des résultats de l’étude scientifique, atteint par ailleurs tous les objectifs qualitatifs requis.

Nous voulons clairement donner à ce projet la chance de proposer – comme cela a été demandé en 2010 lors de l’appel à projets – une alternative d’aide et de soins à l’intention des personnes âgées et de démontrer la réelle plus-value qu’apporte ce type de projet.
Il ne s’agit pas pour nous, à Bruxelles, de renforcer des structures existantes mais bien de favoriser la collaboration entre les acteurs autour de la personne âgée, en prévoyant un investissement important en matière d’accompagnement des cas les plus complexes. Nous partageons votre inquiétude de voir ce projet s’arrêter. Les propositions de financement actuelles du gouvernement fédéral ne nous enchantent pas.

Nous posons clairement la question du rôle des médecins généralistes et de leur soutien dans ces projets et demandons que la première ligne d’aide et de soins soit mieux intégrée et plus efficiente.
Le projet bruxellois coûte un peu moins d’un million d’euros. La Cocom n’a pas les moyens de prendre ce financement en charge et compte bien défendre le projet devant le gouvernement fédéral pour ne pas perdre l’expertise acquise sur le terrain, sans oublier le climat de confiance qui s’est créé au fil du temps entre les acteurs de terrain autour des bénéficiaires.

S’agissant de la collaboration entre les cabinets, les discussions sont intenses et nous bénéficions du soutien de l’ensemble des autorités régionales. Comme vous pouvez le constater, nos cabinets suivent étroitement ce dossier.

Mme Catherine Moureaux.- Je ne suis pas certaine d’avoir bien compris. C’est une bonne nouvelle que vous nous annoncez ?

M. Le Ministre.- Je vous dis uniquement que nous ne lâchons pas le morceau.

Mme Catherine Moureaux.- Sur le financement 2018, cela signifie-t-il que le service dispose de six mois supplémentaires ?

M. Le Ministre.– Nous ne sommes pas d’accord sur les modalités et les exigences actuelles et avons relayé cette préoccupation. Nous n’avons pas encore obtenu gain de cause, mais nous ne lâcherons pas le morceau. In fine, la décision appartiendra malgré tout au pouvoir fédéral.

Mme Catherine Moureaux.- La bonne nouvelle, c’est que les différents cabinets sont unanimes. Je suppose que votre collègue, Mme Fremault, peut sensibiliser Mme Greoli en vue de vous assurer le soutien des Wallons. Est-ce envisageable pour vous ?

M. Le Ministre.- Je ne peux pas répondre pour mes collègues dans le cadre de leurs compétences. De notre côté, nous suivons ce dossier de près. Je ne pourrais pas concevoir que Bruxelles soit exclue de ce dispositif fédéral par la suppression du projet Dionysos. Si tel était le cas, nous verrions le pouvoir fédéral aider la Flandre et la Wallonie à concurrence de douze millions d’euros et ne rien accorder ou pas grand-chose à Bruxelles. Je pense qu’il existe un équilibre, d’autant plus que, selon l’étude scientifique, le projet Dionysos répond à tous les critères qualitatifs.

Mme Catherine Moureaux.- C’est tout à fait évident. Il est complètement aberrant de vouloir retarder l’entrée en institution et de n’utiliser que ce seul critère en laissant tomber tout le reste, alors qu’on voit que ce projet contribue utilement à améliorer la qualité de vie des personnes, tant à leur domicile que par la suite en institution.
Cela signifie-t-il que vous incitez Dionysos à postuler lors du prochain appel à projets ? Quand sera-t-il diffusé ? Et quels efforts consentez-vous pour que la candidature de Dionysos soit retenue ?

M. Le Ministre.– Je n’ai pas encore la réponse, car cet appel à projets doit être lancé par l’État fédéral. Mais il y a un groupe de travail qui se réunit et nous mettons sans cesse ce dossier sur la table.

Mme Catherine Moureaux.– Les 12 millions d’euros pour 2018 seront-ils reconduits pour 2019 et 2020 ?

M. Le Ministre.– Je le pense, mais encore une fois, je ne peux pas m’engager sur un budget fédéral.

 

Pour en savoir plus:

– L’équipe de ce projet s’est mis en vente: https://www.facebook.com/dionysos.brussels/

– Une pétition pour soutenir ce projet est en ligne: petition