Le 4 mai, j’interrogeais le Ministre Guy Vanhengel, chargé des relations extérieures, concernant l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (le CETA)… En effet, ce « petit frère » du fameux « TTIP » (le Partenariat Transatlantique entre Union européenne et Canada) représente une claire menace pour les services publics, l’autonomie législative des assemblées parlementaires et en particulier la possibilité de légiférer sur l’environnement ou la fiscalité des entreprises. Certains hauts dirigeants européens aimeraient éviter que les parlements régionaux, pourtant directement concernés, votent sur le texte final de l’accord. Il faut au contraire assurer que les régions puissent se prononcer sur le CETA !

QUESTION ORALE DE MME CATHERINE MOUREAUX À M. GUY VANHENGEL, MINISTRE DU GOUVERNEMENT DE LA RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE, CHARGÉ DES FINANCES, DU BUDGET, DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT, concernant « la qualification juridique de l’Accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada ».

Mme Catherine Moureaux (PS).- L’Assemblée nationale française a adopté en novembre 2014 une résolution demandant une révision substantielle du Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) « considérant le droit souverain des États et de l’Union européenne à mettre en œuvre des politiques publiques, notamment de santé publique, de protection de l’environnement, de protection sociale et de promotion de la diversité culturelle » et « le précédent » que pourrait constituer le CETA par rapport au Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Dans cette résolution, l’Assemblée nationale française demande à la Commission européenne et au Conseil de l’Union européenne « d’affirmer clairement la qualification juridique d’accord mixte de l’accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne ».

La qualification juridique de traité mixte, qui impliquerait que les parlements nationaux et, dans le cas belge, les parlements des entités fédérées, doivent tous ratifier ces traités, n’est en effet absolument pas garantie à l’heure actuelle. La Commission fait pression pour que la ratification ne s’opère que via le Parlement et le Conseil européens. Or le CETA prévoit un grand nombre de mesures qui peuvent avoir un impact direct sur les compétences régionales, par exemple, en matière de régulation environnementale ou de fiscalité des entreprises.

Le mécanisme d’arbitrage des différends « investisseurs-États » clause d’arbitrage dite ISDS, constitue un dispositif spécifique qui nécessite une attention toute particulière. La consultation européenne sur ce mécanisme dans le cadre du TTIP a montré une large opposition de la population européenne, ce qui n’a pas empêché la Commission de maintenir inchangé le texte du CETA.

Une étude récente publiée notamment par la Fédération syndicale européenne des services publics se consacre à ce dispositif en se basant sur les recours d’entreprises américaines, canadiennes et européennes dans le cadre de la zone de libre-échange d’Amérique du Nord (ALENA). Elle montre parfaitement comment le mécanisme d’arbitrage investisseur-État a été utilisé par ces entreprises pour forcer non seulement le Canada mais aussi ses provinces à modifier la législation notamment en matière de recherche appliquée et de protection de l’environnement.

Plus encore, le CETA prévoit que tout le secteur des services soit ouvert au marché, sauf clauses d’exclusions visant à protéger certains services publics qui doivent être explicitement mentionnés par chaque État de l’Union européenne. Les services publics des secteurs de la santé et du social seraient à l’heure actuelle, si l’on en croit plusieurs sommités universitaires européennes – je pense à M. Markus Krajewski, grand juriste en droit du commerce international, professeur de haut niveau de plusieurs grandes universités allemandes et non soupçonnable de gauchisme -, insuffisamment protégés par les clauses d’exclusion. Les impacts sur la Région seront donc, si l’on en croit les experts, loin d’être négligeables.

Il est donc crucial de s’assurer que le gouvernement fédéral se fasse le porte-parole efficace pour défendre les services publics belges et poser toutes les balises nécessaires pour éviter un affaiblissement non concerté de la capacité des parlements des entités fédérées à légiférer dans leurs champs de compétences propres. Il semble en particulier dans ce cadre essentiel de garantir la qualification juridique de traité mixte.

L’accord tel que négocié mais non encore relu et vérifié par les juristes canadiens ou européens ni remis en forme par eux est néanmoins déjà disponible en ligne. Il est donc possible de se faire une opinion sur la nature du traité.

J’en viens à mes questions au gouvernement. Des contacts ont-ils été pris par les autorités régionales avec le gouvernement fédéral sur ce projet d’accord ? Le cas échéant, a-t-on l’assurance que le CETA sera bien débattu par tous les parlements concernés par l’application de ce texte, ce qui implique cette qualification juridique d’accord mixte ? Maintenant que l’accord tel que négocié a été publié, est-ce que les services du gouvernement compétents en la matière ont déjà analysé le contenu et est-ce que le gouvernement a déjà pris position à cet égard ?

Guy Vanhengel, ministre.- Dans le cadre des débats menés au sein de cette assemblée sur le TTIP, on a souvent fait référence au CETA. Les débats ont abouti à une résolution, dont le gouvernement examine actuellement la manière d’y donner suite.

La définition du caractère mixte d’un traité européen se fait toujours en deux phases : dans un premier temps, au niveau européen, pour savoir si le texte relève entièrement de la compétence de l’Union ou s’il concerne, outre l’Union, ses États membres ; dans un second temps et dans le cas où les États membres sont compétents, également au niveau belge, le groupe de travail traités mixtes, qui fait rapport à la conférence interministérielle de la politique étrangère, définit les entités compétentes dans le cadre d’un traité.

Le caractère mixte ou non mixte des traités est également examiné par la section législation du Conseil d’État lorsque celui-ci doit remettre un avis sur un instrument d’approbation. Les textes du CETA qui étaient disponibles à ce moment-là ont été déclarés mixtes provisoirement le 19 novembre 2013 par le groupe de travail traités mixtes.

Bien que les entités fédérées de ce pays se dévouent à déclarer un maximum de traités comme mixtes et à les soumettre à leurs parlements respectifs, la définition du caractère mixte est une donnée juridique qui s’établit sur la base des textes définitifs et de la formulation des dispositions qui y sont reprises.

Comme demandé dans la résolution du parlement et comme je le signalais plus haut, le gouvernement examine tous les aspects et suites des textes actuellement disponibles, dont également la qualification qui sera donnée au traité final.

Mme Catherine Moureaux (PS).- Le fait que la Commission européenne ne souhaite pas que ses traités soient mixtes au niveau européen ne fait aucun doute. Vous avez parlé des différentes démarches. Je citerai un des hauts fonctionnaires de la DG commerce, M. Jean-Charles Van Eeckhaute qui s’exprimait le 13 janvier 2015 lors d’un colloque organisé par la Vlaams-Europees verbindingsagentschap (Vleva), une asbl flamande de liaison avec l’Europe que vous connaissez sans doute. Il disait : « Selon la Commission, le CETA n’est pas un traité mixte et ne nécessitera pas l’approbation des parlements nationaux. Cependant, cette question devra être discutée au Conseil européen. »Même son de cloche, le 14 avril 2015, lors d’un colloque organisé par l’Association internationale de la mutualité (AIM) où un autre des hauts fonctionnaires de la même DG, Ignacio Garcia Bercero, affirmait que concernant le TTIP, il était clair qu’il s’agissait d’un traité mixte mais qu’en revanche, en ce qui concernait le CETA, les juristes de la Commission travaillaient toujours sur la question. Il semblait probable que la Commission considère ce traité comme non-mixte et que ce soit au Conseil européen de se prononcer finalement sur la mixité du texte.

Par rapport aux analyses juridiques, notamment celle de Markus Krajewski sur les secteurs de la santé et du social, je pense que c’est une question que nous avons le devoir de nous poser en Région bruxelloise et pour laquelle il ne faut cesser d’être en contact avec le pouvoir fédéral afin de pousser à ce que ce traité puisse passer devant notre parlement.