Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu des débats de la Commission Éducation du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du 3 mai 2016:

 

Catherine Moureaux. –Permettez-moi de revenir sur le rapport2015 d’Unia, l’ancien Centre interfédéral pour l’égalité des chances. Celui-ci stipule que l’enseignement reste l’un des quatre secteurs où les discriminations sont les plus importantes. Un secteur pour lequel, malheureusement, les dossiers introduits sont en augmentation en 2015.

Aujourd’hui, un mois après les attentats de Bruxelles, le directeur d’Unia nous alerte sur une nouvelle augmentation des signalements d’actes racistes et xénophobes depuis les événements tragiques survenus le 22 mars. Selon lui toujours, ces discriminations sont essentiellement islamophobes ,mais, en 2016, il constate aussi une recrudescence de l’antisémitisme.

 

Notre école n’est pas épargnée et je reviendrai à ce titre sur un événement survenu dernière ment. Un adolescent juif d’un athénée d’Uccle aurait subi, pendant plusieurs semaines, des insultes antisémites qui auraient poussé la mère à le changer d’établissement scolaire. Une demande d’autorisation de changement d’établissement signée et validée par le préfet avec le motif suivant «propos antisémites minimisés en insultes par le proviseur», aurait ainsi été traitée.

 

Madame la Ministre, confirmez-vous cet évènement? Pouvez-vous faire le point sur ce que vos services ont constaté? Le cas échéant, qu’avez-vous entrepris à la suite de cet incident?

Au-delà de ce cas particulier très interpellant et parce que le contexte est important, comment les enseignants, les directions et les établissements sont-ils préparés pour faire face à de tels actes aujourd’hui? Comment la formation et l’information sont-elles organisées?

 

Quand de tels faits se produisent, des mesures, dispositifs ou protocoles spécifiques sont-ils prévus par l’Administration générale de l’enseignement? Combien de faits de racisme et xénophobie ont-ils été enregistrés en 2015 et depuis le début de cette année par vos services?

 

Du côté des élèves, quels dispositifs sont activés quand de tels faits ont lieu? Quels sont les outils mis en place au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles?

 

Pour conclure, je me permettrai de réitérer des propos que j’ai tenus devant cette commission il y a quelques semaines, à la sortie du dernier rapport d’Unia: l’école est le lieu par excellence où la médiation doit s’exercer. Dans le cas contraire, nous nous dirigeons vers une société de la confrontation et non du vivre ensemble.

 

La Ministre de l’Éducation. –J’évoquerai d’abord le cas particulier que vous venez de mentionner. Lors de la rencontre qui visait à concrétiser le changement d’école de l’élève qui avait été touché par ces propos antisémites, la maman a expliqué au chef d’établissement qu’à son estime, l’emploi du terme «insulte» était inapproprié, car il minimise les faits. Lors de cette entrevue, le chef d’établissement a souhaité expliquer à la maman que l’intention de la direction n’était pas de minimiser la portée et la gravité de propos antisémites ou racistes et qu’effectivement, l’usage du terme «insulte» pouvait faire l’objet d’une discussion. S’en est suivie une discussion ouverte au cours de laquelle, le directeur a souligné que pour lui, et donc, pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, ce qui s’était passé était très grave. Dans son chef, il s’agissait plutôt d’une maladresse d’écriture plutôt que d’une volonté de minimiser les faits.

 

À la suite de ce dossier extrêmement délicat et auquel j’accorde beaucoup d’attention, j’ai rencontré, dès mon entrée en fonction et à leur demande, des responsables du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB). Aussi, dans l’athénée en question, différents projets ont été mis en place: une journée de sensibilisation au harcèlement a été organisée à destination des élèves de 1èreet 2e, le 13 avril; le 13 mai, lors de la journée portes ouvertes, diverses réalisations d’élèves sur le thème du vivre ensemble seront exposées; le chef d’établissement a convoqué des assemblées générales du personnel afin de débattre des actions à mettre en place pour éviter qu’une situation du même type ne se reproduise; l’association de parents travaille en synergie avec la direction de l’école à la production de documents sur cette thématique; des enseignants ont publié sur le site web de l’école un texte sur le vivre ensemble, une collaboration plus étroite s’est nouée avec l’école communale de Homborch –située juste en face de l’athénée–, appuyée par le Collège communal et en particulier l’échevine de l’Enseignement. Les deux associations de parents sont prêtes à s’unir pour que des parents de convictions différentes puissent s’investir dans une action préventive en collaboration avec les enseignants et les directions au profit des élèves des deux écoles.

 

On constate une conscientisation importante de l’équipe pédagogique, de la direction

,mais aussi de l’environnement de l’école, que nous devons encourager.

 

De manière plus générale, dans la foulée du plan de prévention du radicalisme à l’école, nous devons réaffirmer que l’école est un lieu de socialisation par excellence. Les espaces d’échanges qui s’y développent permettent aux élèves de confronter leurs idées, de déconstruire les stéréotypes et les amalgames et d’éveiller l’esprit critique. L’école a un rôle de catalyseur, elle permet de travailler sur la résilience des élèves en rappelant le socle des valeurs communes, en bâtissant des contre discours, en décryptant les discours de haine et en recréant du lien.

 

La notion de citoyenneté, qui renferme une multitude de thématiques, questionnements philosophiques, dialogues interconvictionnels, droits de l’homme, éducation aux médias, lutte contre le racisme, nécessite la plus grande vigilance sur le contenu de l’enseignement. En effet, celui-ci ne doit pas être uniquement un éventail de matières théoriques, il doit également répondre à un des quatre objectifs généraux du décret «Missions», à savoir préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures.

 

C’est dans cet esprit que des projets ont été mis en place. Je ne vais pas les citer à nouveau mais je tiens à votre disposition tous les outils de la plateforme citoyenneté qui sont régulièrement communiqués aux enseignants. Ceux-ci seront très utiles dans le cadre de l’éducation à la philosophie et à la citoyenneté, mais ils le sont déjà dans le cadre de démarches transversales mais aussi dans des situations très concrètes comme celle de l’athénée.

D’après les informations dont nous disposons, il n’y a pas de recrudescence d’actes antisémites dans les établissements de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous devons toutefois rester vigilants afin de continuer à prévenir de tels actes ou de telles paroles qui sont, à mon sens, tout à fait inadmissibles. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons rencontré le CCOJB.

 

De manière plus globale, une réflexion est en cours au Service général de l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour mettre en place un plan de formation en cours de carrière des proviseurs des athénées, afin de ren-forcer leur formation en matière de gestion des conflits.

 

Catherine Moureaux. –Je tiens à vous conforter dans la nécessité de cette vigilance, Madame la Ministre, et à vous réaffirmer, ainsi qu’aux autorités locales en charge de l’éducation, ma plus grande confiance par rapport à la gestion de ce type de situation.

J’entends et je salue ce qui a été réalisé à Uccle 2, à la suite de cet événement dramatique à mon sens. Je voudrais tout de même revenir sur la gravité des faits. De telles paroles sont intolérables et portent véritablement atteinte au vivre ensemble. J’attendrais tout de même l’élaboration d’un véritable protocole. Ainsi, lorsque la première parole de ce type émerge dans une école, il ne faut certes pas s’attaquer à l’élève qui l’a proférée, mais accomplir un travail avec l’ensemble de la communauté éducative pour que cela ne se reproduise pas. Si un protocole ne devait pas être conclu, je demande au minimum une transmission des bonnes pratiques. Mais j’insiste pour qu’un protocole puisse être conclu. Il s’agit de faits intolérables qui, dans le climat actuel, risquent de se reproduire et de ne cesser que faute de combattants. D’ailleurs, c’est peut-être précisément la raison pour laquelle on ne constate pas de recrudescence. Il faut aller plus loin et définir une procédure beaucoup plus claire, cadrée et volontariste.