Mme Catherine Moureaux (PS). – Début décembre, la Ligue des familles a publié son baromètre de la situation vécue par les parents et les enfants. Je voudrais aborder plus spécialement un aspect de ce baromètre, à savoir l’accès aux crèches et la fréquentation de celles-ci. Pour réaliser ce baromètre concernant les parents de jeunes enfants, La Ligue des familles a réalisé une enquête auprès d’un échantillon de 500 Belges francophones, soit plus de mille familles. Les constats sont interpellants.

J’ai ainsi été particulièrement frappée par la discordance entre les chiffres cités par les parents dans leur témoignage et les chiffres «officiels» du taux de couverture des crèches dont nous discutons dans notre commission. Concernant les besoins d’accueil de la petite enfance, on peut notamment lire dans ce baromètre que 63 % des parents confient leur enfant à une structure d’accueil au moins une fois par semaine. Ce chiffre ne correspond pas aux données parues dans le dernier rapport de l’ONE, où l’on oscille autour des 40 %.

Comment peut-on expliquer cette différence? Quant à la demande de places d’accueil, 80 % des parents disent chercher une place avant même la naissance. L’ONE dispose-t-il de statistiques sur les recherches effectuées par les parents avant la naissance? Les chiffres sont-ils comparables?

Plus globalement, tant pour la recherche d’une place d’accueil et que pour les prix demandés, les parents déclarent rencontrer des difficultés. Et celles-ci sont encore plus marquées à Bruxelles: un parent sur cinq doit y faire des recherches plus de cinq mois pour trouver une place d’accueil, contre un parent sur dix en Wallonie.

Pour la facture, la moyenne à Bruxelles est, selon le baromètre, d’environ 424 euros mensuellement, contre 302 euros en Wallonie. La manière dont l’enquête a été réalisée explique sans doute en partie les discordances observées entre les chiffres. L’échantillon de parents n’est peut-être pas tout à fait représentatif même si l’enquête a bien été menée dans les différentes sous-régions. Il se peut aussi que les réponses aux questions posées aient été difficiles à interpréter au regard des méthodologies utilisées par l’ONE.

Globalement, comment appréhendez-vous les chiffres? Partagez-vous les constats? Comptez-vous travailler à l’avenir avec la Ligue des familles pour prendre les mesures qu’imposent ceux-ci?

Mme Véronique Durenne (MR). – La dernière enquête publiée par la Ligue des familles prouve que la situation dans le secteur de la petite enfance et plus particulièrement dans l’accueil de l’enfance est loin d’être idéale. Selon l’ONE, si l’on calcule le nombre d’enfants inscrits au 15 janvier, soit la date du recensement scolaire, et que l’on rapporte ce chiffre au nombre d’enfants de moins de trois ans, on obtient un taux de couverture qui, en 2014, grimpait à 44 %.

Bien sûr, des disparités existent entre provinces et il faut garder à l’esprit qu’un taux élevé ne signifie pas que la demande soit satisfaite, tout comme il arrive que la demande soit peu exprimée dans les régions où le taux de couverture est faible. Néanmoins, un problème existe bel et bien.

Selon Delphine Chabbert, directrice du bureau d’études de la Ligue des familles, de nombreux points noirs ont été recensés lors de cette enquête «Baromètre des familles», parmi lesquels, bien sûr, l’accueil des tout-petits. En effet, selon l’enquête, 8 % des parents qui ont cherché une crèche n’en ont pas trouvé, et un parent sur deux est stressé par la recherche, souvent pénible, d’une place d’accueil. Autre source d’insatisfaction: le prix des crèches qui oscille en moyenne autour de 350 euros. Dans les crèches publiques, ce prix représente 11 % des revenus. Le constat est donc simple: pour les familles monoparentales et les familles en situation de pauvreté ou en risque de précarité, ce montant est difficile à assumer. Madame la Ministre, pouvez-vous dresser un état des lieux de l’avancement de la réforme de l’accueil de la petite enfance et de l’avancement du volet 2bis du Plan Cigogne III?

À court terme, va-t-on s’éloigner de la logique «Plan Cigogne» et entrer dans des logiques alternatives? Ou la ligne tracée par votre prédécesseur sera-t-elle l’unique ligne directrice durant toute cette législature? Comme ma collègue, je souligne cet élément nouveau que constitue le taux d’occupation de 63 %.

Il est vrai que la Ligue des familles n’a pas exactement la même méthode de calcul mais, dès lors qu’il est communiqué, que vous inspire ce taux? Faut-il revoir la méthode de calcul de l’ONE pour affiner les taux actuels? Par ailleurs, quelle est votre réaction et quelles sont vos propositions quant au constat des difficultés financières rencontrées par un nombre non négligeable de familles dans le cadre de la garde de leur enfant? Par ailleurs, l’étude a pointé le stress des parents pendant la recherche d’un accueil.

Ne serait-il pas également impératif d’organiser une forme d’accompagnement pour les parents durant cette période?

Mme Joëlle Milquet, vice-présidente et ministre de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. – L’analyse de la Ligue des familles est intéressante. Elle doit fonder l’évolution et l’adaptation des différentes réformes en cours. Évidemment, il s’agit d’un baromètre, pas de statistiques scientifiques et objectives.

En outre, l’échantillonnage n’est pas toujours complètement représentatif de l’ensemble de la population. La différence entre les chiffres de l’ONE qui, eux, relèvent des statistiques, et ceux du baromètre, qui a ciblé 500 personnes, d’un niveau socioéconomique sans doute légèrement supérieur à la moyenne, vient probablement de là. Il est question de 63 % de personnes qui mettent leur enfant au moins un jour dans une structure d’accueil, mais nous savons très bien que le taux de placement dans une structure d’accueil est plus élevé dans les familles à indice socioéconomique élevé que dans les familles à indice socioéconomique faible.

Pour ces dernières, le taux n’atteint même pas 24 %. Cela touche notamment les familles nombreuses d’origine étrangère, pour lesquelles le taux est encore beaucoup plus bas. L’ONE fait la distinction entre deux taux de couverture. Un premier taux de couverture se fonde sur la quantité de places conventionnées en Fédération Wallonie-Bruxelles, taux rapporté au nombre d’enfants qui fréquentent une structure d’accueil.

L’année dernière, globalement, le taux de couverture était de 30 %. Un deuxième taux de couverture est calculé en fonction des inscriptions d’enfants enregistrées lors du recensement scolaire, taux rapporté au nombre d’enfants de moins de trois ans, incluant donc le nombre d’enfants inscrits à l’école maternelle. En 2014, le taux de couverture était de 44 %.
La fréquentation est vraiment liée au niveau socioéconomique des familles. Les mêmes différences se retrouvent dans les données relatives au décrochage scolaire et à l’échec scolaire. Tout cela est, hélas, intimement lié à l’indice socioéconomique. La carte du décrochage scolaire montre que la situation est meilleure dans les provinces du Brabant wallon et de Namur, dans l’axe de la nationale 4 vers le Luxembourg.

Dans ces deux provinces, le taux de couverture est de 60 %. Dans les provinces de Hainaut et de Liège, où le taux de décrochage scolaire est important, le taux de couverture est de 40 %. À Bruxelles, dont nous connaissons la sociologie évolutive, le taux de couverture tombe à 30 %. En ce qui concerne le taux de réussite scolaire, les différences sont identiques. Ces éléments montrent, au-delà de la problématique du lien avec l’indice socioéconomique, toute l’importance de la fréquentation en amont de l’école maternelle et des structures d’accueil pour préparer l’entrée à l’école primaire, que ce soit pour la maîtrise des langues ou pour les autres apprentissages.

Nos politiques doivent donc impérativement permettre aux personnes à indice socioéconomique faible, qui ne sont pas nécessairement à la recherche d’un emploi, de placer leurs enfants dans des structures d’accueil. Il faut réduire l’écart linguistique et culturel dans toute la mesure du possible, avant même l’entrée à l’école maternelle.

Par ailleurs, je me propose de voir avec les ministres régionaux comment établir un lien avec les futurs parcours obligatoires d’intégration en vue d’inciter les personnes concernées à mettre leurs enfants à l’école maternelle. Le baromètre montre à quel point les différentes réformes en cours sont judicieuses et doivent être développées.

Il faut avancer dans la réforme du secteur de l’accueil de la petite enfance. À la suite d’un changement de direction, le projet de réforme «Milac» de l’ONE a pris un peu de retard et j’insisterai auprès de ses responsables pour que l’on progresse à un rythme plus soutenu encore. Il s’agit de préciser les codes de qualité, mais aussi de diversifier l’offre, qui répondra mieux aux besoins des parents quant aux horaires, aux types de structure, qui prévoira des gardiennes encadrées pour les week-ends et qui s’adressera à davantage de publics cibles, notamment avec des implantations dans des quartiers à indice socioéconomique plus faible.

La réforme s’appuie donc sur l’analyse du baromètre. J’espère déposer une note stratégique avant les grandes vacances 2016; une fois l’accord politique obtenu, nous pourrons la traduire en textes. Bien évidemment, cette réforme exige des moyens complémentaires. Dans le cadre du volet 2bis du plan «Cigogne III», des appels à projets seront lancés au début de cette année. L’ONE a d’ores et déjà récolté les intentions de projet des promoteurs hennuyers et liégeois, car ces deux rovinces sont moins bien couvertes et le premier appel à projets n’y avait pas eu suffisamment de succès. Le plan «Cigogne III» court jusqu’à la fin du contrat de gestion 2013-2018.

Au-delà de sa mise en œuvre, je me concerte avec le monde de l’entreprise en vue d’aménager notre système SEMA (Synergie Employeurs – Milieux d’Accueil), qui ne fonctionne pas. Un partenariat public-privé (PPP) pourrait fournir une solution, dans un cadre politique clair d’ouverture et de prise en charge des enfants, que ceux-ci soient liés ou non au personnel de l’entreprise; il faudrait aussi repenser certaines politiques pour faire appliquer dans les PPP les grilles tarifaires en vigueur dans le secteur conventionné.

Je travaille ainsi sur de nouvelles pistes de subventionnement pour ouvrir des places tout en imposant les grilles tarifaires. Si nous devons changer la logique du système SEMA, gardons-en les éléments positifs, en concertation vigilante avec les entreprises. L’enquête réalisée auprès de 1 500 personnes livre d’autres éléments. Il apparaît que 7 à 8 % des parents n’avaient pas trouvé de place pour leur enfant d’un an.

Certes limitée, la problématique reste préoccupante. Par comparaison, 20 % des parents ont eu des difficultés à trouver de la place pour leur enfant dans une école maternelle. Il faut continuer à stimuler le développement d’infrastructures nouvelles, en liaison entre les pouvoirs publics, le milieu associatif et – le cas échéant – le secteur privé. J’en viens aux coûts cités dans l’interpellation; ils sont parfois difficilement comparables avec les données disponibles. Le coût est en effet supérieur à Bruxelles, à savoir 424 euros par mois contre 302 euros par mois en Wallonie.

Pour pouvoir établir une comparaison entre ces résultats et ceux de l’ONE, il faudrait connaître la composition de l’échantillon de parents et, surtout, les types de milieux d’accueil fréquentés. Il faut voir, d’une part, si le milieu d’accueil est subventionné ou non par l’ONE – crèches, maisons d’enfants – et, d’autre part, la localisation; une sous-région en Région wallonne peut avoir un indice différent. Le milieu de vie et donc les revenus des parents interviennent aussi. Les données disponibles à travers les demandes de subsides traitées par l’ONE montrent en effet que ces deux facteurs – structure et situation des parents – influencent la redevance moyenne des parents, ainsi que la situation géographique de l’établissement. De manière globale, au 31 décembre 2014, la participation financière parentale moyenne était de 14,74 euros en Région de Bruxelles-Capitale et de 15,41 euros en Wallonie pour les milieux d’accueil subventionnés par l’ONE.

Il serait également intéressant et pertinent de connaître la durée moyenne de séjour des enfants et de savoir si la réduction d’impôt des frais de garde a bien été prise en compte.

La réforme de la réglementation du secteur de l’accueil et de la petite enfance intégrera bien évidemment l’accessibilité financière de tous les milieux d’accueil et une révision de la participation financière des parents pour l’inscrire dans une visée de plus grande équité de traitement à l’égard des parents.

Pour répondre au stress des parents à la recherche de places d’accueil, l’ONE met des outils à disposition des parents: dépliant simplifié «À la recherche d’une place d’accueil», liste des milieux d’accueil selon la zone géographique et le type d’accueil disponible sur le site internet ou sur simple demande d’aide téléphonique, informations disponibles via les mêmes canaux. En outre, il est également prévu, à l’avenir, un dispositif visant à réaliser une centralisation informatisée sur internet de l’ensemble des demandes d’inscription; j’ai demandé que l’on accélère la mise en œuvre de ce projet.

Il s’agit de mettre à disposition des parents cet outil d’information concernant les milieux d’accueil, comme cela a été fait pour l’enseignement maternel et primaire: en cliquant sur le nom d’une commune, on obtient un aperçu du nombre de places disponibles, des adresses, des localisations, etc.

Mme Catherine Moureaux (PS). – Je pense comme vous que les différences constatées sont principalement liées à la non-représentativité de l’échantillon pris en compte dans le baromètre.

Cependant, et je pense que vous l’avez aussi compris dans ce sens-là, si l’on part du postulat selon lequel le niveau socioéconomique des répondants était supérieur au niveau socioéconomique global, on comprend tout de suite que les difficultés de paiement sont d’autant plus grandes pour les personnes issues des classes populaires.

Cela peut expliquer pourquoi elles n’ont pas accès aux milieux d’accueil. L’accueil des enfants de 0 à 3 ans est déjà une lourde charge pour les personnes émanant des niveaux socioéconomiques les plus élevés. Cette situation donne lieu à un cercle vicieux.

Le modèle économique des grandes familles est, dès lors, simple: la femme reste à la maison pour garder les enfants. Ce modèle économique est plus viable pour la famille que la fréquentation de milieux d’accueil. Comme vous l’avez également souligné, ce schéma est extrêmement nuisible pour le devenir de ces enfants et la pleine réalisation de leurs capacités, non seulement sur le plan du langage, mais aussi pour les autres apprentissages de base et notamment le savoir-être, tellement important pour la poursuite du cursus scolaire.

Il y a donc du pain sur la planche. Le groupe socialiste vous soutient quant à votre volonté d’élargir l’éventail des possibilités pour les parents, tout en gardant à l’esprit la gestion des deniers publics et en visant dès lors une certaine efficacité. Le coût des places me semble donc essentiel. Il faut que les actions entreprises profitent au plus grand nombre et touchent les publics visés.

Il faut donc poursuivre la politique des missi dominici. C’est important. Vous le faites actuellement pour Liège et le Hainaut, dans le cadre des réponses aux différentes phases du plan Cigogne. Comme vous le savez, depuis un certain temps déjà, la Région de Bruxelles-Capitale agit dans le même sens à Bruxelles.

Cet investissement particulièrement coûteux demeure difficile pour les pouvoirs locaux. Nous sommes très heureux de constater que vous partagez notre point de vue selon lequel le rattrapage en matière d’inégalités sociales, de santé et scolaires passe par la fréquentation des milieux d’accueil et le développement des écoles maternelles. Comme je le disais précédemment, nous serons attentifs au choix de solutions les mieux adaptées à nos objectifs. Nous soutenons également votre idée de préserver une place pour le secteur privé dans le cadre du plan SEMA.

Votre approche relative aux grilles tarifaires est excellente, en espérant que le système fonctionnera de manière satisfaisante, car les résultats n’ont pas été très bons jusqu’à présent et le fait d’imposer un impératif supplémentaire me semble un peu risqué. Quant à la demande de parcours d’intégration, à la scolarisation et à la prise en charge, en crèche et en maternelle, l’objectif est louable mais, de nouveau, la question est extrêmement complexe.

Nous vous soutenons dans votre volonté de définir un axe de travail en la matière, mais je me demande si cet objectif pourra être atteint rapidement. J’aimerais revenir sur une question à laquelle vous n’avez pas répondu.

L’ONE dispose-t-il ou non de chiffres concernant les demandes de fréquentation rencontrées ou non? Pourriez-vous me communiquer des données ventilées par région et par province? À ma connaissance, ces demandes ne sont pas centralisées, ce qui constitue un point négatif, car il faut, à mon sens, avoir une vue d’ensemble à cet égard. Il faut pouvoir mettre en œuvre votre vision volontariste – que nous partageons bien entendu – de lutte contre les inégalités sociales grâce à l’outil que constitue la prise en charge en milieu d’accueil, poursuivie ensuite dans le maternel.

Pour ce faire, il faut travailler sur la problématique des demandes et des besoins. Nous devons pouvoir offrir des solutions aux personnes qui ont des besoins en la matière, mais ne formulent pas de demande. Il est donc essentiel, d’une part, que nous ayons une vision claire et précise de la situation et, d’autre part, que la société puisse se saisir d’un diagnostic partagé sur la question des besoins et des demandes. C’est indispensable pour que nous puissions vous soutenir et progresser dans les réponses à apporter.
Mme Véronique Durenne (MR). – Je partage les propos de ma collègue. Madame la Ministre, je suis ravie d’avoir entendu votre volonté d’innover, de trouver des solutions et de supprimer ce blocage idéologique avec le secteur privé. Depuis des années, mon groupe se bat en faveur des partenariats entre les secteurs privé et public. Aujourd’hui, vous voulez avancer dans ce sens. Le plan SEMA est un des points d’achoppement.

Certaines entreprises ont en effet envie d’avancer, mais sont bloquées par le moratoire. Celui-ci doit être levé. Les règles du plan SEMA doivent être assouplies. Vous avez parlé de la flexibilité des horaires. Il faut laisser la liberté aux chefs d’entreprise de créer des places comme ils l’entendent.

Les pouvoirs publics ne disposent pas toujours de l’argent nécessaire. Il faut toutefois prévoir davantage pour les enfants et réduire les coûts des infrastructures. Ceux-ci constituent une des principales difficultés pour l’ouverture des places d’accueil. Je suis donc satisfaite de votre réponse et de votre volonté d’avancer.

La politique de la petite enfance est en effet extrêmement importante, tant pour les parents que pour les enfants.