L’attentat contre Charlie Hebdo, ce carnage effroyable, me touche, nous touche tous, profondément. Face à tant d’horreur, l’émotion est forte, puissante, elle s’empare de nous. Le choc d’un basculement soudain dans l’expression de la violence physique la plus cruelle soulève un cri commun ; et ce cri d’effroi nous lie dans notre humanité, peu importe notre appartenance sociale, religieuse, peu importe le pays où nous résidons.

Aujourd’hui, c’est le temps de l’émotion.

Il est trop tôt pour une analyse digne de ce nom : l’enquête est encore en cours. A l’heure où j’écris ces lignes, des prises d’otages se terminent, répliques insupportables du massacre du 7 janvier. On ne sait pas grand-chose des tueurs.

Ceux qui énoncent d’ores et déjà de grandes théories, « surfant » sur la vague médiatique, se risquent à un exercice périlleux, dont les conséquences peuvent être délétères pour les liens sociaux, pour ce qui fait la cohésion de nos sociétés.

C’est ma responsabilité, notre responsabilité commune en tant que politiques, de nous interroger dès à présent sur chaque parole, chaque acte que nous posons. Car nos réactions ne seront pas sans conséquences : face à un tel traumatisme, nos sociétés seront amenées à évoluer, et les paroles, les actes que nous poserons dans les jours à venir pourront nous orienter vers le meilleur comme vers le pire.

Les propos de certains commentateurs médiatiques, tels que ceux sommant les musulmans à se distancier de cette attaque ; les propos de certains populistes, comme Bart De Wever amalgamant l’extrême-gauche et les musulmans de Belgique à l’attentat… tous ces discours constituent de graves instrumentalisations qui visent à utiliser l’attentat contre Charlie Hebdo pour saper l’égalité entre les citoyen-ne-s, fondement de nos sociétés démocratiques. Intimer l’ordre d’une distanciation de ces actes abominables, c’est jeter le soupçon sur certains citoyens, c’est les déchoir dans les faits de leur citoyenneté parce qu’ils n’ont pas adoptés « la bonne » religion ou parce qu’ils n’ont pas « la bonne » couleur de peau… Les attaques contre les mosquées françaises montrent que des groupuscules s’emparent d’ores et déjà de l’attentat pour légitimer l’expression de leur haine fatidique, pour tenter de renforcer encore les divisions de la société française afin de la faire basculer complètement, afin de lui faire renoncer définitivement à ses valeurs républicaines d’égalité et de fraternité.

Comme je l’ai écrit, je pense qu’il faut prendre le temps d’un véritable diagnostic. Il nous faut dénoncer les discours essentialistes par lesquels on suppose que la nature prend le pas sur les conditions de vie et le parcours de l’individu : pour leurs auteurs, ces discours ont l’avantage de la facilité. Mais il faudra bien sûr nous interroger en temps utile sur les mécanismes sociaux, structurels, qui ont pu « produire les monstres » et sur ce que « ces monstres » révèlent de nos sociétés occidentales.

Cependant, la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir comment nous pouvons éviter l’emballement que certains tentent de provoquer. Les démocrates devront arriver à débattre sereinement dans les semaines, les mois qui viennent. Ne laissons pas la terreur dans laquelle quelques uns veulent nous jeter se transformer en phobie collective, ne la laissons pas scléroser nos catégories de pensée et d’analyse, ne la laissons pas conditionner nos réactions. Il nous faut l’affirmer avec la plus grande fermeté : non, nous ne nous laisserons pas prendre au piège que vous nous tendez ! Vous ne gagnerez pas, vous ne nous ferez pas basculer dans le camp de la haine !