Comment lutter contre le sans-abrisme ? Le 6 mai, j’interpellais (conjointement avec plusieurs députés, dont Jamal Ikazban et Véronique Jamoulle) la Ministre Céline Frémault sur un outil concret de la lutte contre le sans-abrisme : les projets dits « housing first » – logement d’abord. Le compte-rendu intégral des débats est disponible (en pdf) en cliquant ici.

INTERPELLATION DE MME CATHERINE MOUREAUX À M. PASCAL SMET, MEMBRE DU COLLÈGE RÉUNI, COMPÉTENT POUR LA POLITIQUE D’AIDE AUX PERSONNES, LES PRESTATIONS FAMILIALES ET LE CONTRÔLE DES FILMS, ET À MME CÉLINE FREMAULT, MEMBRE DU COLLÈGE RÉUNI, COMPÉTENTE POUR LA POLITIQUE D’AIDE AUX PERSONNES, LES PRESTATIONS FAMILIALES ET LE CONTRÔLE DES FILMS, concernant « les projets désignés dans le cadre de l’appel à projets Housing First »

Mme Catherine Moureaux (PS).- Vous avez lancé l’appel à projets Housing First, dont les candidatures devaient être rentrées pour le 9 mars. Son objectif est d’implanter de façon intégrée des projets Housing First à Bruxelles en faveur de publics sans abri, en tenant compte de la réalité de la Région Bruxelles-Capitale.

Rappelons que l’approche Housing First, signifiant « logement d’abord », consiste à prendre le logement comme point de départ de la reconstruction des personnes sans abri, par opposition aux approches de réinsertion dans l’habitation par étapes successives, dans une logique de continuum de soins. Dans cette perspective, l’objectif à long terme de l’appel à projets vise la réduction du sans-abrisme en Région de Bruxelles-Capitale et l’intégration des publics sans abri dans la société grâce à l’accès à un logement stable et immédiat, couplé à un accompagnement social intense et individualisé. Il s’agit donc de développer le modèle traditionnel du Housing First, basé sur une approche multidisciplinaire d’accompagnement psychosocial.
Vous avez rendu publique ce jeudi 26 mars votre décision de désigner deux projets, qui concernent un total de 47 personnes en 2015. Ils devaient débuter dès le 1er avril. En réponse à une question d’actualité posée lors de la séance plénière de l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune de ce vendredi 27 mars, vous avez d’ailleurs indiqué que deux réseaux pluridisciplinaires étaient désignés.

Le premier est conduit par le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, regroupant les centres publics d’action sociale de Forest, de Molenbeek-Saint-Jean, de Saint-Gilles, de Saint-Josse et de Schaerbeek, l’asbl Santé mentale et exclusion sociale (SMES), l’Association des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA), la Fédération des maisons médicales, la Fédération des services de santé mentale bruxellois (FSSMB), la Fédération bruxelloise des institutions pour toxicomanes (Fedito), la Ligue bruxelloise pour la santé mentale, le Service d’accompagnement social des locataires sociaux de la Région de Bruxelles-Capitale (SASLS), le Centre d’appui au secteur bruxellois d’aide aux sans-abri (La Strada) et enfin, le SAMU social. Ce projet, d’un montant de 300.000 euros, prévoit d’accompagner 32 personnes. Il vise un public de sans domicile fixe « chronicisés ».
Le second réseau est conduit par le centre public d’action sociale de la Ville de Bruxelles, le SAMU Social, le Centre hospitalier universitaire Saint-Pierre et l’asbl Jamais sans toit, pour un montant de 140.000 euros. Il vise un public plus jeune et plus féminin sur le territoire de la Ville de Bruxelles. Pourriez-vous nous transmettre les deux projets ?

Mme Céline Fremault, membre du Collège réuni.- Oui.

Mme Catherine Moureaux (PS).– Merci.

Le modèle montréalais étudié par les premiers soumissionnaires présentait le grand avantage de bénéficier d’un suivi réalisé par des chercheurs du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (Cremis) et de l’université anglophone de Montréal.
Cette approche, qui associe aspects opérationnels et protocole d’évaluation, permettait un examen continu du projet, notamment par le biais d’entretiens avec les personnes accompagnées. C’est donc un volet à part entière.

Les deux projets que vous avez sélectionnés ont-ils adopté cette méthodologie d’évaluation continue ? Comment se déclinent leurs procédures d’évaluation ?
Le Forum de lutte contre la pauvreté a introduit une demande conjointe à la Fondation Roi Baudouin. En connaissez-vous l’issue ? Au besoin, les financements pour un suivi sont-ils dégagés ? Vous évoquez une évaluation hivernale dès décembre 2015. Comment l’envisagez-vous ? Qu’avez-vous déjà mis en place pour atteindre votre objectif d’aboutir à un seul projet regroupant tous les opérateurs à l’horizon 2016 ?

(…)

Mme Céline Fremault, membre du Collège réuni – (…) En ce qui concerne les questions relatives aux programmes Housing First, je voudrais apporter les précisions suivantes. Tout d’abord, il est effectivement indispensable que ces nouveaux programmes fassent l’objet d’une évaluation méticuleuse et continue. C’est seulement ainsi que nous pourrons amener les correctifs nécessaires dès le renouvellement des programmes en janvier 2016. Nous avons l’intention de stabiliser et de renforcer progressivement les projets Housing First au cours de ces prochaines années. Par ailleurs, il est prévu que les deux programmes convergent vers une coordination de projet unique dans le même esprit que celui décrit pour le plan intégré de lutte contre le sans-abrisme.

Pour répondre à la question de Mme Moureaux, nous connaissons très bien l’évaluation faite à Montréal par le Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (Cremis) et c’est exactement selon cette base que nous comptons orienter l’évaluation bruxelloise.
Sur ma suggestion, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté, qui est par ailleurs en charge de l’évaluation des projets financés par le niveau fédéral, a rencontré la Fondation Roi Baudouin afin que celle-ci finance une partie importante du dispositif évaluatif. L’objectif est d’évaluer les programmes Housing First en tant qu’exemples d’innovation sociale et de mettre en place des outils pour assurer la diffusion de leurs contenus auprès des différents secteurs bruxellois concernés ou en attente.
Quant à La Strada, elle assurera l’évaluation quantitative et économique (c’est-à-dire les coûts par individu et par programme) et analysera les parcours individuels des bénéficiaires des programmes.

En ce qui concerne le public auquel les programmes sont destinés, la question a fait l’objet d’une longue réflexion. Elle est toujours la même : est-ce que Housing First est un outil qui fonctionne uniquement pour un public connaissant un double diagnostic comme on l’a très régulièrement décrit (santé mentale et addictions, résidence dans la rue depuis une longue période) ou, au contraire, peut-il être envisagé pour d’autres types de publics qui demandent un suivi moins intense ? Je dois vous avouer qu’avant mes voyages à Londres et à La Haye, j’étais plutôt partisane de la première position et que, depuis, ma perception a changé. Ainsi, s’il est certain que le dispositif donne des résultats très performants de stabilisation dans le logement pour le public du premier type, traditionnellement le plus éloigné des autres dispositifs d’inclusion, il est aussi vrai qu’il peut s’appliquer dans d’autres projets d’inclusion par le logement demandant un suivi social moins régulier et moins onéreux.
Ma réponse est donc la suivante : il faut absolument que les programmes Housing First s’adressent en premier lieu aux personnes les plus précarisées (double diagnostic) car aucun autre programme d’inclusion n’existe pour ce type de public. Ceci dit, cela n’empêche pas d’imaginer d’ouvrir des programmes similaires d’accès au logement avec un accompagnement moins intense à d’autres types de public. L’important est ici de ne pas mettre en concurrence des publics différents avec des besoins différents ; il faut y rester très vigilant.
J’ajouterai que, dans le cas du projet Housing First piloté par le SAMU social, le public de jeunes auquel il s’adresse doit néanmoins présenter une certaine chronicité en rue. Les experts indépendants ayant composé le comité de sélection des projets ont souligné cette dimension et n’ont pas sanctionné le projet par son éventuelle exclusion de l’appel à projets, estimant intéressant de voir comment cela pourrait fonctionner. L’évaluation nous dira si le programme marche pour ce type de public. Les textes présentant les projets seront mis à la disposition de cette commission.

(…)

Mme Catherine Moureaux (PS).– Pour une fois, la répartition des compétences a eu un résultat positif. En effet, il faut des liens structurels entre le social et le logement. C’est ce que l’Association des Maisons d’Accueil (AMA) souhaite depuis des années, comme tous les opérateurs du terrain. Or, il s’agit du public le plus démuni des démunis.
Je voudrais revenir sur les publics (…) concernant le sans-abrisme. J’ai la profonde conviction que le Housing First constitue une approche pour les plus démunis en proie à des pathologies mentales et/ou sociales, avec ou sans assuétudes. A fortiori, cette approche peut donc fonctionner pour tous. Comme vous l’avez très bien dit, la question est de savoir quelle allocation budgétaire on met dans le dispositif et à qui on le destine.
On débouche alors sur la question cruciale de la liste des locataires potentiels du logement social et du logement à bas prix à Bruxelles. On sait que cette liste comprend entre 35.000 et 40.000 ménages. C’est énorme. Pourquoi faire passer certains avant d’autres dans cette liste ? Toute la question est là (…). Dans le même temps, je pense qu’il faut pouvoir tester ce dispositif sur des publics qui sont particulièrement éloignés du logement, pour une raison ou pour une autre.
Peut-être les violences conjugales constituent-elles un cas à part qui fragilise ce public féminin pour une autre raison que celle que nous avons clairement identifiée pour le public typique du Housing First. Cela justifie donc peut-être de passer outre d’autres dispositifs. J’attire toutefois votre attention sur la nécessité fondamentale, dans votre portefeuille du logement, d’arriver de manière volontariste à construire surtout du logement public à bas prix. Structurellement, c’est la solution qui apportera le plus de réponses aux problématiques rencontrées.
Enfin, quand on parle de liens structurels entre le logement et le social, je ne puis m’empêcher de souligner l’excellent travail effectué par le Service d’appui aux usagers du logement social, qui a pour mission hybride et particulière d’établir des liens structurels entre le logement et le social. Je vous exhorte donc à continuer d’appuyer son travail.