7 mois de manifestation sans trouble ni répression

Pendant plus de sept mois, la ville d’Al Hoceima et toutes les localités avoisinantes ont connu les protestations quasi quotidiennes d’un important mouvement citoyen qui se veut pacifique portant un cahier de revendications socio-économique clair et précis (voir fiche n° ½ sur les revendications du mouvement « Hirak »).

D’après les témoignages recueillis sur place, ce mouvement trouverait son origine, notamment, dans les blessures historiques profondes qu’ont laissées les révoltes de 1958-1959, 1965, 1981, 1984 et 1990 toutes réprimées dans le sang, dans sa rude géographie, et son identité culturelle particulière, mais aussi aux politiques menées dans cette région depuis l’indépendance à nos jours par les gouvernements successifs.   Conséquemment, les citoyens ont manifesté leur ras-le-bol sur la place principale d’Al Hoceima mais aussi dans les différents quartiers de la ville. La plus grande manifestation aurait vu environ 30.000 personnes défiler pacifiquement dans les rues d’Al Hoceima!

Côté politique, ces manifestations ont démarré sous le gouvernement d’Abdel-Ilah Benkiran (PJD) et  se sont poursuivies sous le gouvernement Sâadeddine El Othmani (PJD). Les autorités locales sont actuellement des élus du PAM.

Ce qui est très important à noter c’est que durant sept mois, les manifestations n’ont provoqué ni trouble majeur ni réaction répressive de la part des autorités.

L’arrestation de Zefzafi

Un changement dans l’approche des forces de l’ordre est intervenu à la mi-mai 2017. Cela coïncide avec le moment où se déroulent des réunions pointant des manquements et retard dans la mise en œuvre des programmes de développement de la province et de la région. Le moment où partis et niveaux de pouvoir s’opposent sur la question des responsabilités.

On pourrait interpréter l’arrestation de Nasser Zefzafi, le leader  du mouvement « Hirak », et de l’ensemble de ses bras droits, comme le fait qu’on ait voulu « siffler la  fin de la récréation ».

Ces arrestations ont été accompagnées d’échauffourées entre les manifestants et les forces de l’ordre qui ont maintenu, pendant un petit temps encore, les actions de mobilisation.

Les habitants et une partie des autorités locales se rejoignent largement sur l’analyse: au niveau central, l’approche sécuritaire a, à un moment donné, été choisie au lieu de la voie du dialogue.

De son côté, le président de la ville, Mohamed Boudra et membre du PAM local, nous rapporte « qu’on oublie souvent de mentionner que 50 policiers ont été blessés par des jets de pierres, que la plupart ont été hospitalisés pour des traumatismes crâniens que 10 étaient dans un état grave et qu’on a même du en transporter 2 par hélicoptère vers l’hôpital militaire de Rabat ». Il reconnait cependant que « les jeunes manifestants excédés par le manque de formation, d’emploi et de perspectives d’avenir ont exprimé une colère légitime ». Et il ajoute que parmi les prisonniers, il est « sûr qu’il y a des innocents ». D’après lui, la grâce royale pourrait intervenir à l’issue des procès en cours, une fois la tension retombée.

Les forces de l’ordre en nombre

Il faut dire que selon l’estimation des acteurs rencontrés, il y aurait 35.000 policiers positionnés partout dans la ville et dans la province! Sur place, nous-mêmes avons constaté que même si la place principale a retrouvé une vie quasi normale, des camionnettes de police sont disséminées dans toute la ville. Le déploiement est très impressionnant.

Evidemment la ville est « sûre » aujourd’hui pour les touristes. Les autorités s’en vantent. Mais les citoyens, eux, sont pour la plupart terrifiés. Ils nous disent que le climat et la pression liés à la présence des forces de l’ordre en si grand nombre est délétère. Nous n’avons en fait trouvé personne qui soit rassuré par cette présence policière massive…

De plus, nous avons observé à la fin de notre mission, sur la route de Tetouan que de nouveaux camions militaires se dirigeaient vers la ville, accompagnés par ce qui nous a semblé être des camionnettes de ravitaillement. A l’heure de quitter Al Hoceima, nous étions inquiets de ce que cette approche sécuritaire ne continue d’être privilégiée.


Les détenus (voir aussi notre fiche sur le contexte juridique)
Selon le comité du suivi des détenus et un de leurs avocats, le nombre de personnes incarcérées dépasse les 200 personnes réparties entre les prisons de Casablanca, Al Hoceima et Salé. Ce chiffre ne tient pas compte des nombreuses personnes arrêtées administrativement.

Le comité du suivi des détenus et leur avocat nous ont relaté les mauvais traitements et tortures subis par les détenus et en particulier ceux subis par la seule femme détenue, Salima Ziani, alias Silya, pour laquelle ils nous ont dit qu’il pèse des accusations de traitements dégradants à son égard.

Nous publions ci-dessous la liste complète des détenus actuels que nous a fourni le comité du suivi des détenus.

Relâcher les détenus

Presque toutes les autorités locales et tous les représentants des partis politiques rencontrés (PJD, USFP, PAM) nous ont dit soutenir la revendication de libération des détenus, en particulier parce qu’ils reconnaissent la légitimité de leurs revendications socio-économiques. Le secrétaire général de la section locale de l’Union Socialiste des Forces Populaires a expliqué que son parti a, depuis le début, pris part aux manifestations du mouvement et continue à le soutenir. Nos interlocuteurs du PJD soulignaient, de leur côté, qu’il était indispensable de libérer les membres du Mouvement « Hirak » incarcérés car ils sont : « les seuls référents crédibles pour permettre le dialogue ».

Du côté des citoyens et des associations rencontrées, tous sont unanimes par  rapport à la nécessité de relâcher les détenus comme préalable avant d’entamer le dialogue avec les autorités sur le cahier de revendications du mouvement « Hirak ».

Une partie des autorités locales partage cette analyse. Elles sont par contre unanimes quant au fait qu’il faudra donner un temps de répit pour la mise en œuvre du programme de développement. Et quant au fait que cette accélération de la mise en oeuvre du plan stratégique, ils la doivent au mouvement citoyen.