Le cahier de revendications

Les revendications portées par les manifestations à Al Hoceima puis par le Mouvement « Hirak » ont évolué au fil du temps. Suite à la mort de Mouhcine Fikri, les manifestants réclament que toute la lumière soit faite sur les conditions précises de la mort du jeune vendeur de poissons et que justice lui soit rendue. Des voix s’élèvent également pour mettre fin à certaines pratiques policières abusives et à la corruption. Très vite, les revendications portées prennent une ampleur plus générale et touchent à tous les domaines de la gestion publique.

L’approche méthodologique du cahier des revendications proposé par le Mouvement « Hirak » précise que celles-ci ont été élaborées de manière collective et participative. Il en découle un document constitué de 21 revendications. Les domaines couverts concernent deux dossiers judiciaires, le domaine juridique, la santé,  l’enseignement, le sport, la culture, l’environnement, le développement territorial, l’emploi, la pêche, l’agriculture, l’administration et la fiscalité.

Au fil de nos rencontres à Al Hoceima, plusieurs aspects sont soulignés au sujet de ces revendications.

Tout d’abord, l’absence de velléités séparatistes au sein de la population et des manifestants. Nos interlocuteurs nous répètent tous qu’ils tiennent à la monarchie et à l’unité du pays.

Un deuxième élément qui nous est rapporté concerne le parallélisme entre les revendications actuelles et celles des mobilisations antérieures que la région a connues. Cette proximité est nous dit-on particulièrement forte avec les contestations de 1958-1959 qui portaient 18 revendications. Les grandes tendances sont toujours d’actualité en 2017 comme : l’intégration du rif dans les programmes économiques, la lutte contre le chômage ou l’investissement dans l’enseignement. Ce prolongement dans le temps renforce sans aucun doute le sentiment d’abandon de la région de la part des autorités mais également la légitimité des demandes.

Un second parallélisme qui nous a été régulièrement rappelé est celui qui lie les revendications du Mouvement « Hirak » et les projets prévus par le fameux « Manarat Al Moutawassit », le programme de développement pour la région pour la période de 2015-2019.

Sa non application sur le terrain renforce la conviction des habitants qu’il y a en effet eu des négligences de la part de l’Etat à leur encontre. La prise en main de ce dossier par le souverain lui-même tend à confirmer cette impression mais apaise également les plus optimistes qui espèrent que l’intervention royale permettra enfin de faire bouger les choses.

 

Unanimité autour des revendications    socio-économiques

Lors de nos échanges sur place, les revendications à caractère socio-économique nous sont apparues comme étant les plus prégnantes, et les plus unanimement partagées par nos interlocuteurs. L’ensemble des membres des partis politiques que nous avons rencontrés à savoir des élus locaux issus de l’Union Socialiste des Forces Populaires, du Parti pour la Justice et le Développement ainsi que du Parti Authenticité et Modernité, nous disent les soutenir. Notons aussi que tous les membres de la section locale de l’USFP ont dès le début de la mobilisation rejoint les manifestations du Mouvement « Hirak ».

Les revendications portées ont une autre caractéristique : elles concerneraient en fait potentiellement de nombreux citoyens dans tout le pays. Y céder du jour au lendemain comporterait-il le risque pour les autorités que d’autres régions réclament les mêmes projets demain ?

La mobilisation continue y compris hors rif autour du mouvement « Hirak » tend à démontrer l’attrait des citoyens pour les demandes exprimées. Un « risque » qui pourrait compliquer les mises en application.

Une tension apparait donc entre la légitimité des revendications portées et une mise en application concrète problématique. L’enjeu est d’importance. D’autant plus que le pays est plongé dans un processus de régionalisation. Un contexte qui amène immanquablement le renvoi des responsabilités entre les différents niveaux de pouvoirs, phénomène que nous connaissons bien en Belgique.

 

La libération des prisonniers, une revendication devenue prioritaire

Mais on ne peut aborder la question des revendications du Hirak sans reconnaître qu’aujourd’hui l’une d’elles prend le pas sur toutes les autres : la libération des activistes arrêtés lors des manifestations. Pour la majorité de nos interlocuteurs, y compris dans le chef des autorités, la libération des détenus apparait comme une nécessité. Tout d’abord, parce qu’elle est devenue pour le « Hirak » un préalable à toute reprise du dialogue. Pour certains, cela s’explique par le fait que le mouvement actuellement amputé d’une partie de ses leaders ne disposerait plus de référents crédibles pour la poursuite concrète de la mobilisation et des négociations avec les autorités.

D’un point de vue juridique, ensuite, parce que les chefs d’accusation sont peu clairs. Malgré nos questions, nous n’avons d’ailleurs pas réussi à obtenir de réponses claires à ce sujet de la part des responsables politiques que nous avons rencontrés. Il semble, dès lors compliqué pour les autorités de maintenir en prison des leaders porteurs de revendications socio-économiques somme toutes légitimes comme on l’a vu plus haut et espérer un dialogue constructif. Nous vous invitons à consulter à ce sujet notre fiche « Manifestations, répression et prisonniers ».

Cette revendication a aujourd’hui pris le dessus sur toutes les autres. Les dernières manifestations à Al Hoceima rassemblent surtout les proches des détenus. Ce sont pour l’instant les seuls qui osent encore braver les forces de l’ordre présentes en très grand nombre. Pour conclure, un témoignage bref mais éclairant sur l’état d’esprit des familles des détenus :

«Nous sommes égorgés aujourd’hui. S’ils nous rendent nos proches, nous resterons tranquilles et la vie pourra continuer ! ».

Cette phrase est terrible. Elle porte en elle différentes significations. Mais elle témoigne de manière évidente, avant tout, d’une grande douleur.